Auteur : Lucy Adlington
Éditeur : Pocket Jeunesse
Nombre de Pages : 336
Date de Parution : 06 septembre 2018
Mon Avis : (Garanti sans spoilers)
Ella est depuis 3 semaines dans le camp d’Auschwitz que Lucy Adlington a choisi de nommer Birchwood. Il est impératif qu’elle trouve un travail et celui qu’elle convoite est une place de couturière dans l’atelier de Mme H., la femme du commandant du camp. Ce travail dans l’atelier de couture pour les femmes des officiers nazis, s’il est vital pour survivre, devient rapidement un espace où l’horreur de la vie des camps est un peu tenue à distance... Les premières parties du roman sont assez déstabilisantes car si Ella trouve un exutoire dans la couture, elle en vient à masquer toutes les horreurs qui se déroulent à côté, voire la violence dont elle-même peut faire preuve. Le lecteur comprend progressivement qu’il s’agit d’une façon comme une autre de survivre à cette horreur. Face aux nazis qui la déshumanisent complètement, qui lui volent ses vêtements, ses cheveux, et jusqu’à son nom, faisant d’elle leur esclave, à l’intérieur Ella reste libre. Elle n’est plus un matricule mais "Ella qui coud". C’est la seule forme de résistance qu’elle ait trouvé du haut de ses 14 ans et la seule façon de penser qui lui permettent de tenir, de ne pas sombrer dans la folie et le renoncement. C’est aussi une façon pour les plus jeunes lecteurs d’avoir un aperçu tout d’abord pudique puis de plus en plus manifeste, des horreurs qui se sont déroulées durant l’holocauste. J’avoue avoir été surprise du choix de l’autrice d’avoir créé une jeune fille qui ne vit qu’à travers les vêtements et la couture dans un tel contexte mortifère. Ella elle-même ne comprend qu’au fur et à mesure combien cet attachement à ce qui semble futile est chargé de symboles : plus qu’un vêtement, il s’agit pour Ella de savoir trouver du beau là où tout n’est que laideur, c’est conserver une liberté intérieure, une richesse créative quand l’extérieur ne cherche qu’à tuer votre personnalité et votre âme. Le vêtement, c’est ce dont ces prisonniers sont privés depuis leur arrivée, obligée de porter une robe/sac informe rayée. Le vêtement, qui plus est de qualité, devient tout simplement le reflet de leur statut d’humain et continuer à rêver à ces vêtements, revendiquer le droit d’en porter, c’est lutter pour conserver son humanité et sa liberté. Il n’existe aucune notion de dates dans le roman, l’autrice incluant par son procédé le lecteur dans cette absence de temporalité angoissante. Tout le long du roman, nous nous interrogeons pour savoir à quelle époque Ella a été raflée et si la fin de la guerre est proche, s’il existe un espoir de voir les jeunes filles sortir vivantes des camps. Volontairement, les Gardes ne laissent aucun indice du temps qui s’écoule, enfermant les prisonniers dans une routine où seule la répétition des mêmes gestes les maintient en vie. Sur le même schéma, le roman est découpé en parties qui, si elles reposent en partie sur les saisons, sont surtout le reflet du moral d’Ella et de sa compréhension progressive de ce qu’elle vit. Ces parties portent le nom de couleur et prennent sens au regard des évènements qui s’y déroulent, et toujours en référence aux tissus et aux vêtements qui y jouent un rôle. Du côté des personnages, le cœur de l’histoire tourne autour d’Ella et de Lily. Ella a 14 ans mais a vite compris que dans ce monde il ne fallait pas être considéré comme une enfant si on voulait survivre. Ella a grandi dans le cocon de la maison de ses grands-parents adorés, au milieu des coupons de tissus, des patrons et de la machine à coudre de sa grand-mère, jusqu’à ce qu’elle soit déportée à Birchwood, raflée en pleine rue en rentrant de l’école. Elle n’a d’autre choix que de s’adapter et vite. Ella est une jeune fille que la vie du camp force rapidement à s’endurcir, l’obligeant à une forme d’égoïsme nécessaire pour sa survie. Lily est aux antipodes d’Ella. Erudite, fantasque, Lily a besoin d’aider les autres pour avoir le sentiment encore d’exister, et sa survie se joue sur un autre plan, celui de la sauvegarde de son âme. C’est un personnage lumineux qui m’a semblé encore plus héroïque qu’Ella. Devant toutes les horreurs quotidiennes, elle a cette capacité à inventer des histoires, mettre du merveilleux dans du sordide. Elle offre à tout le monde ses récits, ses extravagances et insuffle de la vie et de l’espoir afin que les autres ne sombrent pas. Lily incarne la pensée de l’autrice qui, en post face, écrit : "Si nous parvenons à voir les actes de bonté comme des actes héroïques, nous pourrons empêcher à la fois la haine et la violence." Lily et Ella ont chacune à leur façon leur richesse intérieure qui les aide à tenir et c’est en partageant cette richesse qu’elles se rendent fortes. Un simple ruban rouge en vient à porter tous leurs rêves et leurs espoirs et devient le symbole de leur insoumission. Le regard de l’autrice ne s’arrête pas aux prisonnières mais se porte aussi sur une gardienne, Carla. Carla qui tombe amoureuse du travail d’Ella tout en éprouvant une haine profonde pour "l’espèce" d’Ella, oscillant entre une admiration de la beauté de son travail et la répulsion que lui inspire la jeune fille. Le lecteur est gagné progressivement par un sentiment de malaise devant ces gardiennes qui sont ravies qu’on leur confectionne des tenues qui subliment leur féminité, qui continuent à vivre leur vie de femme en lisant des magazines de mode, se réjouissant de l’acquisition d’un nouveau parfum, et qui dans le même temps sont des brutes inhumaines dans ce camp de la mort. Ella et le lecteur à travers elle, se questionnent sur ce paradoxe aliénant qui transforme une femme dont on pourrait être l’amie à ce bourreau débordant de haine. D’autres personnages gravitent autour de ces jeunes femmes, plus ou moins détestables, chacune illustrant une façon plus ou moins bonne de survivre. L’autrice dans sa post face met en mots ce que ses personnages nous ont fait vivre : "Chacune des filles du ruban rouge met en lumière les différents choix moraux pour survivre et prospérer. Ce sont les choix que nous faisons tous, à un autre niveau, dans la vie de tous les jours comme dans des situations extrêmes. A Auschwitz, chaque personne réagissait du mieux qu’elle pouvait. Le mieux était parfois exceptionnel. Parfois, il était épouvantable. Cela peut être dangereux de juger les comportements des autres sans savoir pourquoi ils agissent ainsi ni quelles pressions ils subissent." Le Ruban rouge est un roman qui traite de l’holocauste à travers le prisme d’un atelier de couture. Si l’idée de donner autant d’importance à la confection de vêtements dans un camp de la mort semble étonnante voire un peu frivole, le roman devient rapidement plus profond, porteur de symboles. Une très belle façon de faire connaitre aux plus jeunes les horreurs des camps de concentration. |