NOS VIES EN L'AIR
Auteur : Manon Fargetton
Éditeur : Éditions Rageot
Nombre de Pages : 192
Date de Parution : 09 janvier 2019
Mon Avis : (Garanti sans spoilers)
J'ai eu la chance de découvrir les premières lignes de Nos Vies en l'air à travers les explications de Manon Fargetton, avant qu'elle ne prête sa voix à son histoire et ses personnages, le temps de la lecture de quelques chapitres. L'autrice possède de nombreuses cordes à son arc et sa familiarité avec le théâtre lui confère un talent inné de conteuse qui a rendu ces premières pages saisissantes et pleine d'émotions. Nos Vies en l'air est un roman né d'une triste découverte : à l'occasion d'une étude portant sur la santé et le bien-être des étudiants, 20% d'entre eux ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires lors de l'année écoulée, et presque 10% avait déjà tenté de se suicider. Quand ces chiffres ont pris vie dans l'esprit de l'autrice à chaque fois qu'elle intervenait dans une classe, l'idée de trouver les mots pour en parler a commencé à émerger. De cette idée angoissante, le roman a finalement pris forme à travers une image croisée sur les réseaux sociaux, celle des pieds d'une jeune fille suspendue au-dessus d'une avenue, donnant vie à Mina et Océan. |
Mina est sur le toit d'un immeuble parisien, prête à se jeter dans le vide. Océan, un parfait inconnu, apparait à ses côtés. Le jeune homme n'a aucune chance de la convaincre de renoncer. Sauf qu'il n'est pas là pour ça. Lui aussi est là pour mourir. Cette coïncidence pourrait être drôle si elle n'était pas si dramatique. L'un comme l'autre ne sont pas prêts à renoncer à leur projet mais l'aspect improbable de la scène les oblige à réfléchir. Et les mots sortent, anticipant la pensée : "On passe la nuit tous les deux. Et si demain matin on a encore envie de mourir, on saute. Ensemble.". Océan accepte, "A une condition. On se dit la vérité. Toujours. Sur tous les sujets. Les gens qui mentent ne m'intéressent pas.". Le ton est donné : le temps des faux semblants est terminé. Le récit démarre sans temps mort et continue sans aucun répit : les personnages n'ont que le temps d'une nuit devant eux pour… pour quoi d'ailleurs ? La conclusion est déjà connue et ces quelques heures vont s'apparenter à une sorte de parenthèse où tout est permis. La fin est écrite mais il leur reste quelques heures à inventer, au rythme des défis personnels qu'ils vont se lancer. Ces conduites ordaliques sont l'occasion de "Côtoyer la mort d'un peu plus près pour l'apprivoiser, se sentir prêt à la rejoindre, ou à lui tourner le dos". Le récit est ponctué par le bref récit des brûlures qu'océan s'est infligées, et des instantanés de la mémoire photographique infaillible de Mina. Ces apartés, comme des cailloux blancs qui les ont conduits à cette décision et à ce toit, laissent le lecteur entrapercevoir peu à peu leur histoire et leurs failles. On comprend comment leurs pensées se sont engagées dans des spires où elles tournoient sans fin. Et ce sont finalement ces paris qu'ils se lancent, cette remise en action qui va libérer leurs émotions puis la pensée, et remettre en branle ce qui était figé. Mina et Océan ne peuvent être plus opposés : Mina est une jeune fille hyper sensible, qui nous semble d'emblée attachante, mais dont les émotions trop intenses l'empêchent d'être heureuse. "Parfois j'ai l'impression d'être une boule d'émotion brute. Tout est trop. Mes rêves trop brillants, mon bonheur trop violent, ma détresse trop profonde. Comme s'il me manquait une sorte de régulateur, que les autres possèdent pour aplanir leurs sentiments, et qui me fait défaut. " Océan, à 16 ans, est déjà acerbe et a une vision nihiliste de l'avenir. Il porte un regard acide sur ce qui l'entoure, "Trop cynique pour le bonheur ". Sa vision nous heurte autant qu'elle secoue Mina "Océan s'exprime comme d'autres vomissent. Par spasmes, sans douceur, dégoûté de ce qui lui échappe". Si les deux adolescents n'ont rien en commun si ce n'est cette impossibilité de continuer à vivre, ils offrent deux points de vue dans lesquels le lecteur peut se projeter. "Mina est la mémoire absolue du passé. Moi, je suis le présent éclaté en milliers de fragments de pensées. Quant au futur, il nous est aussi inaccessible à l'un qu'à l'autre". Le thème est dur et la fin est incertaine jusqu'aux dernières lignes. Le lecteur est rapidement pris dans ce tourbillon émotionnel, car quel que soit son âge, les mots/maux de ces deux adolescents nous parlent et font échos à nos propres émotions, actuelles ou passées. Il n'est pas facile d'aborder dans un roman le mal être adolescent et le désir de mourir. Il faut un sacré courage et une plume talentueuse pour y parvenir, tout en proposant une histoire qui évite les écueils de la caricature ou de la facilité, et parvienne à nous toucher. Manon Fargetton remporte haut la main ce défi en nous proposant un récit et des personnages qui nous plongent dans un maelstrom émotionnel. Mina et Océan vont hanter quelques temps votre mémoire... |
... Lecture Parfaite ...
et Manon Fargetton
pour leur confiance