J'ai rencontré Joseph Delaney !
Quelle a été l'idée de départ pour écrire Aberrations ? Ce qui me plaisait dans la série de l'Epouvanteur, c'était cette séquence que je trouvais très effrayante, quand on demande à Tom de descendre dans une cave hantée pour devenir officiellement un apprenti. Il faut être le septième fils d'un septième fils mais aussi surmonter ses peurs en étant capable de descendre dans la cave à minuit pour pouvoir prétendre à la formation d'Epouvanteur. Mon point de départ pour ce livre a été de reprendre l'idée de cette cave, de mettre un personnage dedans et de faire l'inverse, c'est-à-dire de me demander qu'est-ce qu'il y a l'extérieur de cette cave ? Cette fois-ci, le danger était tapi à l'extérieur de la cave et non à l'intérieur, et je voulais qu'on suive un personnage qui s'y était réfugié et découvrir petit à petit avec lui ce qu'il y avait dehors. |
Vous avez une imagination de dingue et vous parvenez à créer tout un tas de Créatures des plus surprenantes. Qu'est-ce qui nourrit votre inspiration ? J'imagine que ça doit provenir du fin fond de mon crâne ! Mais ça prend du temps, ce ne sont pas des créatures et des idées qui arrivent toutes faites sur le papier. Souvent, ce sont des ébauches d'idées, ce n'est pas dégrossi, et il faut travailler dessus pour leur donner forme. Il faut savoir que la phase de relecture et de correction avec l'éditrice, est un moment qui fait énormément bouger le livre. Le livre peut grandir jusqu'à 25 % de plus à ce moment-là, parce que l'éditrice va avoir des suggestions, parce que moi-même je vais avoir de nouvelles idées. C'est un peu comme une question qu'on aurait avant d'aller se coucher, et quand on se réveille le lendemain, on a une ébauche de réponse. |
Il y a certaines créatures que l'on a découvert dans l'Epouvanteur, qu'on retrouve de façon plus travaillée et aboutie dans Arena 13, par exemple les Kobalos et leur façon de combattre. Y aura-t-il de tels liens dans Aberrations ? Oui, vous avez raison, mais finalement il y a très peu d'exemples d'une créature qui passe d'un livre à l'autre. L'écriture du Bestiaire m'a permis d'inventer des noms et des créatures que j'ai pu, par la suite, intégrer petit à petit dans mes romans. Ainsi, quand vous débutez la nouvelle série (le tome 14 en France), il est bien de reprendre le tome 11, Le Pacte de Sliter, parce que vous allez retrouver le même univers et les mêmes personnages. |
Vos romans sont souvent en partie des romans d'apprentissage. Qu'est-ce qui est intéressant pour un auteur dans ce type de récit ? En fait, je n'ai pas de programme préétabli, de conviction que je mets en avant. Mon objectif est d'explorer des mondes dans lequel je vais mettre des personnages qui, certes vont évoluer mais ce n'est pas forcément la vision que j'ai de l'exercice. |
Justement, quand vous écrivez, connaissez-vous tout le déroulement de votre intrigue ? Non. Je n'ai pas de plan d'écriture ni de plan d'intrigue. Je découvre l'intrigue et l'histoire au fur et à mesure. Pour Aberrations, j'ai déjà écrit le deuxième tome, et à ce stade, je ne connais pas tout de l'univers ni tous les tenants et les aboutissants de l'histoire. Mon travail est de trouver les réponses aux questions que se posent les personnages légèrement avant eux pour pouvoir leur souffler la réponse. Par exemple, dans le tome sur Grimalkin, je ne connaissais pas la fin avant d'y arriver. Pour tout dire, j'avais même l'intention de tuer le personnage ! Je lui avais donné une tâche à accomplir et elle devait disparaitre après. Je démarre avec une idée globale, puis je la peaufine au fur et à mesure, tout en restant ouvert à toutes sortes de possibilités |
Pour Aberration, envisagez-vous une saga longue ou courte ? Il y en a déjà plus de deux puisque j'en ai écrit deux ! A la fin de ce second tome, il reste des questions en suspens, des problèmes non résolus, donc je pense au moins trois minimum mais certainement pas 13 ! |
Avez-vous déjà songé à écrire dans d'autres genres ? J'ai essayé et j'ai plusieurs manuscrits non publiés chez moi. J'avais notamment écrit une histoire policière avec un jeune garçon qui était le plus jeune détective privé d'Angleterre. Je me suis beaucoup amusé à l'écrire, j'ai d'ailleurs toujours les notes à la maison, mais je ne les ai jamais envoyées à un éditeur. Il m'a fallu neuf ans pour être publié pour la première fois, avec neuf ans de lettres de refus. J'écrivais quoi qu'il advienne un livre par an (qui était systématiquement refusé!). À un moment donné, je me suis arrêté durant trois mois. Je n'ai pas écrit d'histoires mais j'ai écrit des idées et des bribes d'intrigues. Ça a donné lieu à cinq livres, je ne pourrais plus vous dire exactement lesquels, sauf le tome sur Sliter et cette histoire de détective. |
Pour un auteur, y a-t-il des choses difficiles à écrire dans un roman ? Je ne rencontre pas vraiment de difficultés quand j'écris. En revanche, il y a des processus qui sont parfois plus difficiles que d'autres. Par exemple, j'aime beaucoup écrire à la première personne du singulier pour ma narration et j'aime avoir peu de personnages. En tant que lecteur, quand je lis un livre et qu'il y a une dizaine de personnages, je m'y perds. Ça ne me plaît pas du tout donc j'évite de faire ça. Ceci étant dit, plus d'une fois dans mes romans, j'ai utilisé plusieurs narrateurs, par exemple pour le tome sur Sliter. Pourtant, je ne trouve pas que ce soit forcément une bonne idée de multiplier les points de vue et les personnages. Dans le troisième tome de la saga sur Tom, j'ai écrit l'histoire du point de vue de Tom, de Grimakin, et de Jenny, la nouvelle apprentie, et ce n'est pas forcément un choix dont je suis très heureux. Pour Aberrations, l'éditrice m'a suggéré de changer mon fusil d'épaule et d'écrire à la troisième personne, ce qui au départ ne me plaisait pas. Au final, je m'y suis fait et ça fonctionne bien. Ceci étant dit, on reste quand même dans le regard de Crafty et c'est à partir de lui que l'on voit se dérouler l'intrigue. |
Dans tous vos romans, les enfants sont confrontés à des adultes qui ne sont pas toujours très fiables, notamment dans Aberrations. Est-ce une volonté de votre part ? La question est "est-ce que les enfants ne sont pas emprisonnés dans la volonté des adultes et ne faut-il qu'ils se libèrent de ce joug ?" L'autre jour, je me disais justement, que la réincarnation devait être une horreur, si on se réincarne dans un enfant qui vit dans une famille qui ne l'aime pas. N'est-ce pas la pire chose qui puisse lui arriver ? Oui mes personnages se libèrent de ce joug des adultes, de leur supervision et leur surveillance. Dans l'Epouvanteur, Tom est un personnage qui a un bon fond mais peu à peu se libère de son maître et c'est à partir de ce moment qu'il commence à rencontrer des dangers et l'aventure. |
Avez-vous des habitudes ou des conditions nécessaires pour écrire ? Avant j'avais des habitudes, j'étais toujours au même endroit, je m'asseyais de la même manière, les choses étaient disposées autour de moi de la même façon, j'étais face à l'est… Cela a changé depuis que mes enfants ne sont plus à la maison et que je voyage beaucoup. J'ai maintenant pris l'habitude de travailler avec un ordinateur portable, aux endroits où je me trouve. En règle générale, je travaille à l'intérieur, directement sur l'ordinateur. Mais quand il fait beau, (et ce n'est pas tous les jours dans le Lancashire…), vous me trouverez plus facilement dans le jardin, avec un papier et un crayon. J'écris à la main avant de le retranscrire sur mon ordinateur. Habituellement, j'écris mieux, tôt le matin. C'est une habitude que j'ai depuis que j'écris, avant même d'avoir été publié. Quand j'étais encore enseignant, je me levais très tôt, vers 5h/5h30, j'avalais une tasse de café et je m'y mettais tout de suite, parce que j'avais remarqué que, quand je rentrais du travail, j'étais trop fatigué pour écrire. C'était le matin que j'étais le plus efficace. |
J'ai une dernière question un peu tendancieuse… En France, on considère qu'il y a un âge pour lire, voire pour écrire de la littérature jeunesse. Qu'est-ce que vous auriez à répondre à ce genre de remarques ? Autour de moi, les adultes lisent de la littérature pour enfants. Je connais par exemple des adultes qui ont commencé la série L'Epouvanteur à 11 ans, d'autres à 25 ans, et qui continuent à la lire. Je ne pense pas qu'il y ait de frontières. En Angleterre, la littérature pour enfants se vend mieux que la littérature pour adultes. En revanche, je crois que le processus de relai de cette littérature n'est pas le même en France qu'en Angleterre. En France, vous avez beaucoup de blogueurs qui relaient les informations Nous, on n'a pas ça. Par contre, on a beaucoup d'événements organisés dans les librairies. Et puis surtout, on se déplace dans les écoles, on va à la rencontre des élèves, parfois on a des événements qui rassemblent 300 à 500 élèves ! Je travaille avec une libraire très efficace, qui organise ce genre d'événement : J'effectue une présentation du livre et ensuite, il y a une table avec une pile de livres que les enfants peuvent acheter avant de venir me voir pour en discuter. Selon les milieux, si les enfants ne peuvent pas se permettre d'acheter le livre, la bibliothèque de l'école se charge de l'acquisition afin que le livre puisse faire le tour des élèves. |
Je remercie sincèrement du fond du coeur les Editions Bayard d'avoir organisé ce rendez-vous et de m'avoir fait vivre un tel moment ! C'est certainement l'un de mes meilleurs souvenirs de ce salon...